C'est dans une "Kolonie" de jardins ouvriers berlinois que Antje m'a donné rendez-vous ce dimanche matin. Nous sommes au Sud-Est du centre-ville de la capitale, si toutefois la notion de centre ville a un sens pour Berlin qui est une ville incroyablement éclatée, des quartiers loin les uns des autres et qui sont autant de centres... il y a 67 000 jardins ouvriers à Berlin!
- "Si je ne suis pas là tout de suite, entre dans la Kolonie, et tu verras, mon jardin est un Hortus, tu reconnaitras. La porte est ouverte! " En effet ! Je longe de grands immeubles gris, passe le long de jardins plus proprets les uns que les autres, des gazons impeccables, buissons au cordeau, fleurs éclatantes désherbées nickel chrome... et repère immédiatement le style Hortus : fleurs sauvages, récup, bourdonnements d'insectes au soleil... je suis là où il faut et Antje n'est pas encore arrivée. Alors je profite de son invitation et pousse le portail.
Tout de suite, mes sens sont en éveil ! Une grande variété d'herbes, de fleurs, de légumes, un pommier ancien, des jouets éparpillés (Antje a trois enfants dont un petit garçon de 2 ans). Je m'assois un moment pour m'imprégner du lieu.
Une grande bignone (elle date de l'ancien occupant) encadre le portail, il y a des bacs de culture avec des blettes, deux courges finissent de mûrir sur le muret, une haie de topinambours en fleurs cache le petit pavillon de jardin. Je repère le Hotspot tout récent avec les plantes typiques des sols maigres, le mur de pierres sèches, le bois mort empilé derrière la maison, dans un coin plus à l'ombre, les ipomées et mauves musquées se lancent à l'assaut de la pile de bûches.
Antje me rejoint avec son petit garçon qui s'empresse d'aller jouer dans la maison. La pénurie de logements à Berlin est telle que le petit bâtiment est occupé pour l'été malgré les conditions plus que précaires.
Antje me raconte alors que ce jardin de 200m2 est malheureusement contaminé depuis la fin de la guerre, car tout le terrain a servi de décharge et personne ne sait vraiment ce qui y a été jeté. Du coup, la culture de légumes est déconseillée, et les voisins les utilisent comme terrain de loisir, pour y faire pousser des fleurs et y passer le week-end au vert. C'est pour cette raison que les quelques légumes poussent dans des bacs, mais Antje y a aussi mis de la terre de jardin et elle est résignée...
- "De toutes les façons, je consomme aussi les pommes, alors... ". Son autre projet est un Hortus deux fois plus grand plus au Nord, dans la région du Mecklembourg.
Quand elle est tombée sur le livre de Markus Gastl (le jardin en trois zones, en allemand pour l'instant), elle a tout de suite compris le potentiel de ce terrain, aussi petit soit-il. Elle a commencé à récupérer des briques unes à unes dans les décharges pour monter un muret plein d'interstices et de cachettes, planté des joubarbes, laissé les orties et autres chardons fleurir, amaigri une petite partie et aporté du sable, récupéré des plantules dans des friches et semé des fleurs sauvages.
Dans une petite annonce on proposait de prendre du vieux bois et elle a sauté sur l'occasion! Le jour où on lui a livré ce trésor, quelqu'un du voisinage lui a téléphoné, affolé : " Quelqu'un vide ses poubelles dans ton jardin!!". L'incompréhension est souvent grande entre les jardiniers du "propre et convenable à tout prix" et ceux qui jardinent avec et pour les animaux libres...
- " Markus Gastl a raison, me dit Antje et ses yeux brillent de joie. Il a suffit d'amaigrir le sol trop fertile de ce terrain, d'attendre un peu, de voir ce qui pousse, de laisser les plantes sauvages, de leur fournir de quoi s'abriter... et les insectes sont au rendez-vous. C'est fascinant! "
Après la tournée botanique des plantes spontanées et semées, elle se décide tout de même d'arracher un indésirable : le datura... la plante toxique était à portée de son enfant
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